Réunis autour de La Voleuse de livres de Markus Zusak , nous ne connaissions pas cet écrivain australien, célèbre chez lui, dont les livres n’avaient pas été traduits en français auparavant. Cet ouvrage a été intégré dans les éditions pour la jeunesse, en France : le héros principal est une enfant qui entame l’adolescence pendant la deuxième guerre mondiale en Allemagne; la narratrice est la Mort, surchargée de travail… pendant que la jeune Liesel fait les découvertes essentielles qui la conduiront à mûrir, et plus vite qu’il ne le faudrait : l’amitié, l’amour des parents adoptifs, la sensualité, les rencontres avec différents « passeurs de vie » qui lui permettront de se construire : Max le Juif, la femme du maire.

Cette construction narrative prend forme grâce à une écriture originale baignée d’humour : la Mort, forcée de faire son travail et renâclant devant le surcroît d’activité imposé par la guerre, les descriptions où se mêlent monde visible des vivants et monde invisible des disparus et nous entraîne, par de brefs chapitres, dans une atmosphère de jeux vidéos.

Les mots qui manquent

Le monde de Liesel est celui où le langage manque à décrire la réalité ce qui le rend non pas mystérieux mais plutôt redoutable: on ne prononce pas « communiste » dans sa famille biologique, c’est pourtant cette étiquette qui condamne son père à disparaître et sa mère à faire un long voyage pour confier ses enfants à une famille adoptive. La femme du maire, si étonnante dans son mutisme et dans ses vêtements inadaptés ne peut crier sa douleur d’avoir perdu son fils, sacrifié à la gloire des nazis du côté desquels elle se range. Le père adoptif de Liesel ne peut dire ouvertement son opposition au régime nazi. Il se tait, répond à côté des questions, refuse de « parler vrai ».

Et les mots qui guérissent

Pourtant ce monde se dévoile « magiquement » devant elle : Liesel n’avait pas réussi à apprendre à lire la tendresse de son père adoptif réussira à surmonter le handicap, avec l’aide d’un manuel du fossoyeur, « volé » à l’enterrement de son frère. C’est alors qu’elle peut, dans l’abri, sous les bombardements, calmer la peur des réfugiés; placer un peu de baume dans la cœur de la voisine dont le fils vient de mourir à la guerre. Alors, Max le Juif choisit de peindre en blanc les pages de Mein Kempf pour y créer La secoueuse de mots à l’usage de Liesel; chez la femme du maire, le froid règne dans la maison comme dans sa vie; mais la bibliothèque, où se trouvent les livres, source d’échange naguère entre son fils et elle, devient le lieu où elle peut à nouveau s’intéresser à un autre enfant, de substitution, Liesel, et retrouver goût à vivre.

Une leçon politique

La leçon est aussi politique : le totalitarisme autorise la parole de propagande, officielle, celle qui ne peut être contredite. Toute contestation est interdite. Or sans réflexion, sans délibération, comme le veut le principe premier de la démocratie, il n’y a plus d’organisation politique digne de ce nom : c’est au creux du bûcher des nazis que Liesel va voler son second livre. Son titre est sans importance. Elle s’inscrit par ce geste contre la « langue » officielle.

Nous avons souligné qu’on avait découvert dans ce livre la souffrance du peuple allemand sous Hitler, thème rarement abordé.

S’il valorise la parole, l’ouvrage de Suzak nous fait réfléchir sur le silence. Qu’il ne faut pas confondre avec la lâcheté, quand « faire », si peu soit-il, est puni de mort ; Qui accompagne l’action des Justes comme chez les parents adoptifs de Liesel, cachant Max le Juif. Et qui n’empêche pas le geste symbolique : donner un morceau de pain à un juif qui traverse la ville au milieu d’un convoi, quitte à subir une punition cuisante. Le silence imposé n’éteint pas la conscience.

Nous nous sommes opposés dès le début sur la qualité littéraire de l’ouvrage. S’agissant de son architecture romanesque, certains lui reprochaient ses épisodes courts, hachés, ses multiples allers-retours dans la chronologie de l’histoire avec des personnages sans épaisseur psychologique. D’autres appréciaient ce choix, que l’on retrouve tant dans le feuilleton que dans des formes de narration plus actuelle (« Le livre dont vous êtes le héros »). S’agissant de l’écriture, certains appréciaient sa facture moderne, vivante, son humour, ses images neuves, d’autres n’y voyaient qu’une écriture trop plate et souvent larmoyante.

Conte, document sur la résistance du peuple allemand, réflexion sur la force du langage (parole ou écrit), il y a tout cela dans La Voleuse de livres.

Geneviève 

 

Nous avons évoqué, pour le 20 mars :

-Inconnu à cette adresse, Kreyssamnn Taylor

-Outremonde, Don DeLillo

-La jeune fille suppliciée sur une étagère, Akira Yashimura

-L’œuvre de James Elroy

-Les Chutes, Blonde , Fille noire, fille blanche, Joyce Carol Oates

-L’effacement, Perceval Everett

-Nature morte à la grenade, Inga Abele

-Courlande, Jean-Paul Kauffmann

-No et moi, Delphine de Vigan

-Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates, Mary Ann Shaffer

 

Nature morte à la grenade, Inga Abele a remporté le plus de voix ; nous parlerons aussi de Les Demeurées de Jeanne Benameur que nous avions lu en liaison avec La voleuse de livres.

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