Le mec de la tombe d'à côté et La femme de Gilles

 

Nous avions choisi, à la dernière rencontre avant la coupure estivale, deux romans : La Femme de Gilles de Madeleine BOURDHOUXE (première parution en 1937), Actes Sud 2004, et Le mec de la tombe d’à côté de Katarina Mazetti, écrit en 1998, éditions Gaia.

« Deux visions très différentes du couple », remarque-t-on d’entrée.

Les 60 ans qui séparent la parution des deux ouvrages sont inscrits dans l’écriture, la construction du récit, et le contexte socio-culturel de l’histoire.

Le premier décrit l’univers industriel du Nord, disparu aujourd’hui, autour d’un couple traditionnel : l’homme travaille, et la femme reste à la maison. Le second se place dans un monde où se côtoient l’agriculteur d’aujourd’hui en mutation (un pied dans ses racines, l’autre sur le tracteur) et la citadine, indépendante, « trentenaire solo », un brin écolo et passablement intello. Un parfum de «L’amour est dans le pré », une histoire improbable, comme il s’en vit de plus en plus.

Donc, deux visions du couple.

Si, dans La Femme de Gilles l’homme suscite l’amour, la passion, la dépendance soumise d’une Élisa présentée par un narrateur qui épouse le point de vue de ses personnages, il fait, dans Le mec de la tombe d’à côté « frétiller les ovules » de Désirée.

Le langage souligne l’appartenance des personnages aux traditions du monde du nord chez Bourdhouxe ; les incessantes créations lexicales de Mazetti, les voix bien distinctes de Benny et de Désirée, reprenant et corrigeant la narration de l’autre nous indiquent qu’on est désormais dans le monde de l’individualisme, de la création permanente, où tout est possible : il suffit de l’inventer. Aujourd’hui on voit « les divorcés qui galèrent », les individus qui remettent en permanence leur couple en question, les séparations qui interviennent à un âge de plus en plus avancé. La solitude est la grande figure de notre société.

Le ton du premier roman est grave, et vite tragique : les conflits entre les femmes (mère et sœurs), les relations entre voisins sont dures, parfois féroces. Et de ce monde, on ne sort pas, même quand l’occasion unique d’aller vivre ailleurs se présente. L’amour ? La relation conjugale assagie, dans un oubli total d’elle-même qui semble tomber dans le masochisme, annihile toute volonté personnelle chez Élisa dont la sœur, sans scrupule, joue dans l’insouciance avec son époux comme un chat avec une souris en attendant le bon parti, ne trouve de secours ni dans sa famille ( elle ne peut en parler à sa mère), ni près des amies (en a-t-elle ?) ni auprès de la religion. La passion sensuelle s’empare de Gilles et en fait une loque dont elle observe médusée la dégradation.

Le second roman joue délibérément sur le loufoque et l’humour. Ce n’est tout de même pas rien, de tirer de la dépression l’amie quittant les bras d’un voyou sans scrupules, de passer de la trayeuse à Rigoletto, du cimetière au lit, du mobilier blanc tubulaire aux napperons de Maman et du journal local à Lacong. Les voisins sont pittoresques, les personnalités vite tracées mais leur fonction est évidente : le voisin qui tient le célibataire à l’œil (amicalement : c’est du fragile) ; le collègue qui trouverait pratique de se recaser avec quelqu’une de la maison ; la fille qui vit par procuration, en faisant des dossiers sur les autres. L’amour … ça surgit, « ça y est », il se repère dans la satisfaction, la joie des corps. Mais pour le vivre, mieux vaut en rire, se mettre à plaisanter quand surgit le fossé du quotidien.

L’amour, c’est une projection de son idéal, a-t-on dit. Tout en remarquant, que, comme on ne se connaissant pas, ou mal, il y avait place pour la surprise : coup de foudre, par exemple, ou étonnement stupéfait de Gilles. Élisa découvre qu’il est impossible de « réparer » l’amour, comme le regrette Alain Souchon qui aurait voulu « passer l’amour à la machine ». Peut-on prendre au sérieux la décision de Désirée de faire un enfant avec celui qu’elle aime sans pouvoir en partager la vie ?

Nous ne voudrions pour rien au monde retrouver le monde décrit par Bourdhouxe, et le personnage d’Élisa a rebuté plus d’une lectrice par son incapacité à réagir, sa compassion complice pour l’aventure de son mari ; sa recherche de l’humiliation, même si elle pouvait être une forme de stratégie pour récupérer son époux par la « force » de son amour. Mais le monde de Mazetti nous paraît bien plus compliqué : trop de liberté tue la liberté. Peut-on prendre au sérieux la décision de Désirée de faire un enfant avec celui qu’elle aime sans pouvoir en partager la vie ?

Les livres évoqués à la fin de la rencontre:

- La cathédrale, La femme de ménage de Christain Oster

- Le congrès de Jean-Guy Souly

- Seul le silence de R-J Ellory

- La ligne verte, Stephen King

- Neige de Orhan Pamuk

- L’Olympe des infortunes de Yasmina Khadra

- Lunar park de Bret Easton Ellis

- L’annonce de Marie-Hélène Lafon

Livre choisi : Seul le silence de R-J Ellory

Rendez-vous le 20 novembre prochain pour discuter de notre lecture de Seul le silence de R-J Ellory

Traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau Ed. Sonatine, 2008.

Retour à l'accueil