Seul dans Berlin, de Hans Fallada

Plus qu’un roman, il s’agit d’un témoignage sur la vie à Berlin en 1941. Le totalitarisme pourrait en en être le personnage principal. En suivant le fil rouge de la vie des Krangel, on découvre les habitants d’un immeuble modeste de la rue Jablonsky, lieu clos où la cohabitation accidentelle et permanente crée un univers sans cesse en mouvement. Ce procédé, qui n’est pas original dans le genre romanesque, montre comment ses habitants sont conduits progressivement, voire insensiblement, par intérêt économique, à tomber dans le fascisme.

Fallada écrit son roman en créant l’attente, le suspense, le malaise des romans policiers et des romans noirs. Il a lu Hammett et Chandler. La population berlinoise souffre modérément des privations – le pire est à venir. Pour se débrouiller un peu mieux, on adhère aux mouvements hitlériens qui constituent un maillage serré autour des gens qui ont accepté, traité de Versailles, humiliations diverses et troubles politiques en mémoire, un ordre restauré et rassurant avant que ne se déchaînent les tortionnaires, que ne s’ouvrent les prisons, les camps de concentration pour les Allemands récalcitrants d’abord, les camps d’extermination pour les Juifs ensuite et les champs de bataille pour la jeunesse allemande.

Ce ne sont pas des gens portés sur la réflexion, ces personnages. Ils agissent, au jour le jour, pour s’en sortir. Certains, agissant sur les coups de tête, poussés à la débrouillardise, d’autres comme Klangel, taiseux renfermé. Les vraies crapules sont membres des SS ; la police et la Gestapo tirent profit d’une violence quotidienne dont elles deviennent, si nécessaire, l’objet, passant rapidement du rôle du bourreau à celui de la victime : dans cet univers l’arbitraire est roi. L’essentiel est que la peur règne. La plupart se taisent comme dans La vie des autres.

« Je me suis reconnu dans tous les personnages » disait un lecteur. Pas plus lâches que nous, capables de la même médiocrité : « ce qu’on fait quand on est une personne normale dans une situation extraordinaire ». Lorsque les Krangel perdent leur fils sur le front russe, se produit chez eux un retournement, une révolution : Hitler est un monstre qu’il faut combattre. Ils organisent une résistance particulière : ils diffusent des cartes anonymes, au texte bref , lapidaire , pour ouvrir les yeux de leurs concitoyens. Ce qu’ils n’avaient pas prévu, c’est combien ces petits mots engendreraient la terreur : d’être soupçonné de les avoir écrits, d’être torturé pour l’exemple, de parler et de mettre les autres en danger. On connaît peu de textes sur la résistance allemande. Trudel, fiancée naguère au fils Kangel, renvoie aux Lettres et carnets de Hans et Sophie Scholl, ou à Stauffenberg : Histoire d'une famille, 1905-1944 de Peter Hoffmann. Les Krangel, dans cet immeuble où chacun s’épie sont les seuls à résister. La vieille dame juive sombre et disparaît sous les coups de la famille SS et des habitants les moins respectables, les autres survivent en silence . Seul, un juge à la retraite présente une ombre de mystère : son allure, ses vêtements, sa réclusion dans un bel appartement le mettent à part. Il essaie de soulager la souffrance, fatalité des temps. Il survit , témoin impassible.

Des mini-récits plus ou moins pittoresques présentent des anti-héros, convaincus qu’ils ont touché le gros lot et prenant de mémorables raclées. Le tragique, parfois s’éloigne. Des bandes de gamins désoeuvrés font la loi dans la ville et bafouent l’autorité paternelle. Toute une population qui retourne à la barbarie.

Il est de retour de Timur Vermes décrit le retour d’Hitler ressuscité. Que ferait-il, que ferait-on aujourd’hui ? L’origine de la violence de Fabrice Humbert cherche à comprendre qui sont les bourrreaux. Comment nous comporterions-nous à leur place ? est la question, c’est certain, qui poursuite le lecteur. Comment échapper au fascisme ? est celle qui vient immédiatement après.

Geneviève

Seul dans Berlin, Hans Fallada, Berlin 1965, Plon 1967, Denoël, 2014

Nous avons mentionné :

Hubert HADDAD , Le peintre d’éventail, Une vilaine petite fille, Palestine

Régine DETAMBEL, Son corps extrême

Mary Ann SHAFFER, Annie BARROWS, Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates

Louis ARAGON, Henry Matisse, roman

Lawrence DURELL, Trilogie de Corfou

Andrei MAKINE, Le testament français,

Henning MANKEL, Les Chaussures italiennes

Romain GARY, La Promesse de l’aube, Les racines du ciel

Marguerite DURAS, Une Pluie d’été, Le ravissement de Lol V. Stein, Barrage contre le Pacifique

Le choix des lecteurs s’est porté sur Le ravissement de Lol VS Stein

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