Le café-Bouquins du 23 mai 2009 nous a réunis autour de deux romans de Atiq Rahimi : Terre et cendres et Syngué Sabour.

L’auteur, par ailleurs scénariste, est nourri de l’univers des images. Ces deux romans semblent relever d’une écriture théâtrale : des objets essentiels apparaissent dès le début : le poignard, le Coran, le rideau vert, celui de la fenêtre pour le second roman ; la route, le baluchon rouge pour Terre et Cendres. Le hors-champ est essentiel : la mine, le village sinistré, la boîte de naswar, pour Terre et Cendres, la ville et sa mosquée, le pays en guerre, la maison de la tante, pour Syngué Sabour. Hors - champ suggéré par les bruits mais aussi les souvenirs : le flash- back y est essentiel pour la narration et l’information du lecteur, mais aussi pour la construction du personnage car il permet ce basculement dans la folie, commun aux deux romans, que connaissent les héros isolés, souffrants, plongés dans l’inhumanité de l’homme.

Les symboles y abondent : le mort-vivant, la « pierre de patience », la vaine tentative de la femme cherchant à traîner son mari hors de ce huis-clos pour Syngué Sabour ; la surdité de l’enfant, le long chemin qui mène à une rencontre impossible entre père et fils avec son cerbère-gardien dans Terre et Cendres. Les personnages sont des archétypes : la femme bientôt veuve, le vieillard survivant, le commerçant venu de Bagdad que les épreuves ont transformé en sage, l’enfant fermé au monde… et pourtant ils sont tous peints avec subtilité. L’héroïne de Syngué Sabour est pleine d’ambivalence : rejetant son mari ou lui manifestant sa tendresse, le soignant avec attention ou décidant de l’abandonner, se déclarant soudain « prostituée » : en somme « une femme comme une autre ». L’auteur refuse de trancher.

Sommes-nous heureux de trouver là ce que nous voulons imaginer de l’Orient, en particulier de la femme orientale ? Nous ne sommes pas dupes de la liberté en toc que nous connaissons en Occident, mais nous apprécions le génie inventif de ces femmes si démunies : la sœur prostituée, l’héroïne luttant contre la stérilité de son époux, ou l’abandon de la belle-famille.

Aussi pesante est la misère des hommes : le guerrier qui meurt sans héroïsme, en réaction à une insulte banale, des soldats perdus, faisant aussi régner la violence et l’esclavage entre eux. Deux vieillards lumineux cependant : le père et grand-père de Terre et Cendres chargé du lien entre les vivants et les morts et le beau-père de l’héroïne de Syngué Sabour, tendre et sage.

Comment comprendre la fin du roman ? La question se pose dans les deux cas.

Pour les uns, dans Syngué Sabour l’héroïne étrangle son mari, pour les autres, il la tue, pour d’autres, elle sombre dans la folie.

Le père de Terre et Cendres quitte la mine avant d’avoir pu parler avec son fils : a-t-il été déçu en apprenant que son fils, informé du bombardement du village, n’est pas venu accomplir les rites et la vengeance qui étaient son devoir ? A-t-il eu peur de le désespérer ? A-t-il abandonné l’espoir de le voir lui survivre dans la tradition, le perpétuer tout court ? Le lecteur dans les deux cas voit s’ouvrir à sa réflexion plusieurs issues possibles à l’histoire.

Deux récits sur la solitude : l’enfant s’étonne que les soldats aient « volé la voix des gens » ; la parole du vieillard dérange le gardien ; la femme cherche à s’éloigner de celui qui l’a si mal connue et retrouve une raison de vivre avec un adolescent qu’elle arrache à son malheur.

 

 

Nous avons mentionné :

Sorj Chalendon , La Promesse, Mon traître

Alain Mabanckou, Mémoires de Porc-épic

Markus Zusak, La voleuse de livres

Gilles Leroy, Alabama Song

Juan Villoro, Mariachi

Russel Banks, De beaux lendemains

 

Nous avons choisi :

Arto Paasilinna : Le lièvre de Vatanen et Petits suicides entre amis (tous deux en folio)

Du même auteur, également : Le bestiaire serviteur du pasteur Huskonen, Un homme heureux, Prisonniers du paradis (Folio pour tous)

 

Bonnes lectures à tous,

Geneviève

Syngué Sabour et Terre et cendres d'Atiq Rahimi
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